1 Créer la demande

            Une de spécificité des maladies mentales est le manque de conscience de cette problématique elle-même. Professionnellement, on parle d’un manque d’Insight. L’usager, par un manque de conscience de lui-même, va ignorer ses difficultés et freins qui surviennent lors de son intégration sociale. L’adaptation classique de l’usager face à ses problèmes est le plus souvent l’évitement et le renfermement progressif dans sa bulle. Ce manque de confrontation à l’extérieur va favoriser l’apparition d’un décrochage face à la réalité des choses et/ou entretenir des craintes irrationnelles. Dès lors, les perspectives oscillent souvent entre l’absence totale de projet et le développement d’idées complètement ahurissantes.  Les modèles théoriques bio-pscho-sociaux nous expliquent que la maladie et le manque de conscience qui s’y relie peut empêcher l’épanouissement et l’intégration de l’usager dans la société. De part ce fait, la symptomatologie peut s’auto-entretenir.

En tant que professionnel, notre mission est d’informer l’usager de ce mécanisme d’auto-renferment et de le sensibiliser à l’existence d’autres perspectives de vie. Or cette mission est complètement absurde puisque l’usager peut n’être demandeur de rien et encore moins d’un travail psychologique sur lui-même, ses handicaps et ses perspectives de vie. L’étape essentielle est alors de tenter de créer cette demande, tout en respectant scrupuleusement le « choix » de l’usager. Il s’agit dès lors de sensibiliser l’usager à notre perspective de rétablissement, de le laisser entrevoir et comprendre qu’un boulet invisible (la maladie) peut encombrer sa vie et l’empêcher de vivre pleinement. Qu’il existe des possibilités pour s’en défaire et que s’il souhaite, il peut faire appel à notre aide. Il faut respecter le fait que l’usager peut ne pas adhérer à notre vision de la situation.

Il s’agit d’une mission délicate puisqu’en tant que scientifique, soignant, il est logique d’être complétement persuader du bien fondé de notre démarche. Dans ce contexte, il peut nous arriver d’être intolérant vis-à-vis des personnes qui n’y adhère pas ou de vouloir mettre en place un prosélytisme qui peut être vécu comme harcelant par celui qui le subit. Il est donc essentiel de réfléchir en équipe à ces dangers et développer une éthique respectueuse du choix du patient.

 

2 Etablir la relation

            Pour résumer, il s’agit de persuader une personne de nous faire confiance d’entrer dans un projet qui peut chambouler sa vie. Tout en sachant que sa maladie peut altérer sa conscience d’elle-même, qu’elle peut ne pas être consciente d’être malade et donc d’envisager de recevoir des soins. Que les symptômes de la maladie peuvent la rendre méfiante vis-à-vis de tout ce qu’on peut lui proposer. Que la présence difficultés cognitives peuvent altérer sa compréhension et la rétention de tout ce qu’on lui présente. Qu’elle peut être débordée par toute une série de peurs tout en assurant que tout va bien … face à cette mission qui peut sembler complexe, la première étape est d‘établir un lien de confiance qui, éventuellement, nous permettrait d’entrer progressivement dans le monde psychique de l’usager. 

  • Créer l’accroche: l’accroche se fait sur base de n’importe quel demande ou besoin de l’usager face à son intégration sociale. Il peut simplement s’agir de l’aider à accéder à une personne, un service.
  • Le lien de confiance: le fait de répondre à la demande précédente permet de démontrer notre fiabilité et donc de créer ce lien de confiance. Celui-ci s’établira plus ou moins rapidement en fonction du degré de méfiance de l’usager.
  • La collaboration: dès l’établissement de la confiance, on peut tenter de proposer notre soutien face à un projet plus ambitieux qui tient à cœur à l’usager. Cela peut-être de retrouver du travail ou sortir de l’hôpital le plus rapidement possible, tout en l’aidant à réfléchir à ce qu’il y a de mieux pour lui.

 

3 Créer l’espoir

                Certains usagers peuvent se sentir complètement impuissant face à cette maladie (s’il en ont conscience) ou face aux situations sociales qu’ils doivent affronter. Ils peuvent ne plus avoir de perspectives positives ou se sentir complètement incapable de les mettre en place. Face à cette situation, il est essentiel de recréer et entretenir des perspectives positives d’intégration sociale et de reprise de contrôle. C’est à cela que sert le rétablissement.

La pair-aidance est l’autre allié essentiel dans cette démarche. Il constitue une preuve vivante de résilience face à la maladie.

 

4 Mettre en place une psychoéducation

L’éducation à la maladie à la maladie sert non seulement à expliquer notre vision « scientifique » de la maladie mais également à augmenter la méta-conscience qu’il a de sa propre maladie. C’est-à-dire sa propre perception qu’il a de sa problématique mentale et plus largement de son fonctionnement psychique interne.  En gros, le but est d’augmenter, voire d’initier, sa capacité d’introspection. Pour se faire, les modules de Gestions de la Maladie et du Rétablissement (GMR) sont disponibles sur le site.

 

5 Utiliser des thérapies « backdoor »

Ce sont des modules d’éducation au fonction du psychisme qui nous permettent de comprendre le fonctionnement mental et ses biais d’interprétations. L’avantage de ces modules, c’est qu’ils nous permettent de discuter ouvertement de l’irrationalité de notre capacité à réfléchir et interagir sans directement incriminer l’usager. Cela permet un décentrage émotionnel des problématiques psychiatriques, tout en espérant que les capacités de réflexivité du patient vos lui permettre de transférer les apprentissages de ces modules à lui-même. Parmi ces modules on peut présenter :

  • Le Michael’s Game est un jeu collaboratif qui développe le raisonnement hypothétique des patients pour mieux faire face à leurs idées délirantes. On sait que le délire est facilité par des biais cognitifs comme le fait de sauter hâtivement à une conclusion lors de situation problématique (« jumping to conclusions »). Dans ce jeu, le personnage de Michael est confronté à toute une série de situations rocambolesques à partir desquels il va développer des interprétations délirantes. Ex en dormant sous un pommier, Mickael est percuté par une pomme et se demande, si un enfant n’aurait pas lancé la pomme. Ce qui n’est pas complétement impossible, mais d’autres explications peuvent être faites. Le fait d’entrainer, en groupe, le patient à entrevoir d’autres interprétations lors des situations de Michael, ce qui permettrait de réduire ces sauts aux conclusions et d’augmenter leur flexibilité à entrevoir d’autres hypothèses lorsqu’ils seront confrontés à leurs propres situations problématiques. Ce jeu peut être obtenu auprès d’HorizonSud à info@horizonsud.ch
  • L’entrainement des habiletés métacognitives (EMC) se compose de modules ciblant les erreurs cognitives et les biais de résolution de problèmes associés aux maladies mentales. Ces erreurs et biais peuvent à eux seuls développer et maintenir des fausses croyances jusqu’aux délires. Le programme poursuit le but de rendre les patients conscients de ces distorsions, de les entraîner à les voir de façon critique, et de changer leur répertoire de résolution de problèmes. La psychose n’est pas un événement soudain et momentané. Le plus souvent, elle est le résultat de changements graduels dans la façon d’appréhender ses propres pensées et l’environnement social. L’amélioration des compétences métacognitives pourrait agir de façon prophylactique sur les rechutes psychotiques.
  • « Je suis super ! » : Ce programme a pour but de consolider les différentes facettes de l’estime de soi, soit le sentiment de sécurité, d’identité, d’appartenance, de direction et de compétence. Le programme se déroule en suivant les fiches d’activités du cahier sous la forme de discussions de groupe.
  • Le programme émotions positives pour la schizophrénie (PEPS) est un programme groupal qui cherche à réduire l’anhédonie et l’apathie en augmentant le contrôle cognitif des émotions positives. Il s’agit d’un programme en huit séances d’une heure, administré à l’aide de matériel multimédia. Les groupes sont composés de 5 à 10 participants. Les compétences enseignées sont : savourer l’expérience agréable, exprimer les émotions de manière comportementale, capitaliser les moments positifs et anticiper les moments agréables.
  • L’Entrainement des Habiletés Sociales est un élément crucial de la réinsertion psychosociale. Notre but étant de faciliter l’intégration dans la société, il est essentiel de fournir aux usagers des compétences pour reconnaitre et défendre ses besoins vis-à-vis d’autrui. Pour se faire des groupes sont organisés, lors desquels les participants rapportent des situations sociales conflictuelles. Celles-ci sont décortiquées pour permettre au groupe de comprendre au mieux la situation et de trouver ensemble des alternatives de réponses à celle-ci. Une fois ces solutions émises verbalement, nous les mettons en pratique au travers de jeux de rôles. Cela permet aux usagers de se sentir plus à l’aise dans ce type de situations sociales problématiques.
    • Voir le livre d’entrainement aux habiletés sociales de R. Liberman

 

6 Entretenir l’espoir et la motivation en insérant l’usager dans la société

              Il s’agit probablement de la partie la plus complexe de la réinsertion sociale car un grand nombre d’usagers vont naturellement être dans l’évitement par rapport au fait de retrouver sa place dans la société. Même si l’on considère tout individu comme ayant un besoin fondamental de s’inséré dans la société, la personne confrontée à un problème de santé mentale va être confrontée à toutes une série de freins qu’il est possible de dérouter :

  1. Le premier c’est la perte d’espoir qu’on va contrer avec la perspective du rétablissement et de ces objectifs.
  2. Le deuxième c’est le symptôme négatifs liés à la maladie comme l’anhédonie et l’avolition qui vont interférer avec l’établissement de projets. Ici l’activation comportementale est bien utile mais elle doit être affinée en fonction des difficultés spécifiques au problématiques mentales sans quoi elle peut rapidement devenir un instrument de torture. Je pense ici au difficultés de contrôle exécutif, au manque d’agentivité et de souvenir spécifique au self qui rendent le passage à l’action encore plus ardu. Il est essentiel de développer de outils d’évaluation de ces composantes car cela dépasse le phénomène d’impuissance apprise de la dépression.
  3. Le troisième c’est la variabilité « naturelle et humaine » de la motivation. A-t-il fait le bon choix ? Est-ce que ses objectifs correspondent réellement à ses perspectives, intérêts, valeurs ? A-t-il suffisamment confiance en lui pour réellement y croire ? La baguette magique va être ici d’utiliser l’entretien motivationnel et les techniques ACT pour lui permettre de se projeter dans l’avenir et de réduire ses freins.
  4. Le quatrième est le « réflexe correcteur » du professionnel qui le pousse à toujours chercher ce qui ne pourrait pas fonctionner plutôt que de rechercher le meilleur en chacun de nous même. Pour lutter contre ce phénomène inconscient il peut être utile de faire appel à une supervision d’équipe, mais...

 

7 Utiliser la gestion de symptômes et le développement d’habiletés si cela semble nécessaire dans la perspective du rétablissement.

  • Gestion du stress (voir module GMR)
  • Gestion des hallucinations et des idées délirantes